[...]
Le temps fila encore. Il n’attendait jamais, passait sans cesse trop vite. Cette discussion avec Baekhyun m’avait libéré un peu et je parvenais à m’ouvrir à lui plus facilement. Nos conversations écrites étaient maintenant teintées de diverses émotions, selon nos besoins. Nous pouvions aussi bien plaisanter et raconter n’importe quoi que nous livrer l’un à l’autre plus sérieusement. Ma grand-mère nageait en plein bonheur de me voir si épanoui. Je lui avais caché que Baekhyun ignorait mon secret. Je savais qu’elle me gronderait. Je savais qu’elle se sentirait mal à cause de moi. Et je ne voulais pas que ça arrive. Tout allait bien pour le moment et je ne voulais pas brusquer les choses. Champagne était toujours fou quand il me voyait. Ma grand-mère était heureuse. Baekhyun rayonnait toujours de bonne humeur. Et le père de mon ami semblait m’apprécier. J’avais peur qu’avouer maintenant ne détruise tout.
Si j’avais su, j’aurais été honnête plus tôt. Il suffisait d’un pion mal placé pour que tout un jeu s’effondre. Ce fut ce qui se passa, j’imagine. J’avais mal joué et tout s’écroula. Comme après chaque bonheur, étrangement, le malheur surgit. Je ne m’y attendais pas. Je m’étais sans doute voilé la face trop longtemps. L’accord tacite entre les autres et moi n’existait peut-être que dans ma tête. Baekhyun arriva vers moi comme une furie à la sortie de son option. Son petit poing atterrit brutalement sur mon torse. Mon souffle fila. Son visage si joyeux n’exprimait plus que de la colère et de la déception.
« Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Tu m’as laissé me ridiculiser, à être le seul à perdre parce que tu ne pouvais pas ! Je pensais qu’on s’était rapproché mais je vois bien que j’ai eu tort ! Ça fait trois mois qu’on se connaît et je pense que ça suffit, t’as assez joué avec moi. »
Il partit aussi vite qu’il était apparu et je restai un long moment figé, ses mots résonnant douloureusement dans mon crâne. Il n’était pas difficile de comprendre ce qu’il avait découvert. Mon secret. Celui que j’avais refusé de lui dire, de peur de le voir fuir également. Je le connaissais, pourtant. Je savais qu’il ne m’aurait pas laissé tomber pour si peu. Mais la peur, vicieuse, avait pris possession de moi et je n’avais pas réfléchi correctement. Je soupirai et me dirigeai vers la sortie en traînant des pieds. Il ne m’avait même pas laissé la possibilité de me défendre. J’avais la sensation soudaine d’être un moins que rien. Je n’avais pourtant pas choisi d’être ainsi. Et je comptais lui avouer moi-même un jour, quand j’en aurais trouvé le courage. Je ne pouvais plus mentir. Je m’étais attaché à lui, à sa voix, à ses yeux malicieux, à sa bonne humeur. Je m’étais attaché à nos messages et à ses réponses à mes questions. Oui, je m’étais attaché comme un idiot. Et j’avais eu peur de dire la vérité. J’avais eu peur de le décevoir et de le perdre. Finalement, c’était arrivé quand même. Je soupirai à nouveau.
Une fois hors du lycée, je marchai sans entrain vers l’arrêt de bus qui me déposerait près de la maison de ma grand-mère. J’espérais ne pas croiser Baekhyun. Pour la première fois, j’hésitai à me rendre à cette maison que j’aimais tant. Je m’assis sur un petit muret à quelques pas de l’abribus. La grisaille ne me dérangeait pas. Elle était comme moi. Mon cœur était lourd. Au fond, je me sentais coupable d’avoir omis la vérité. Je me sentais coupable d’être celui que j’étais. J’avais blessé Baekhyun et ses sentiments. J’avais fait passer ma peur avant tout le reste. Pensant éviter que les mêmes événements se produisent, j’avais provoqué l’inverse. Baekhyun m’avait laissé tomber, comme les autres avant lui. La raison n’était pas réellement la même mais ça ne changeait pas grand-chose. S’il m’avait juste permis de lui expliquer, le mal serait peut-être moindre. Je me passai une main dans les cheveux. Ils étaient trempés. Je me rendis compte que le temps s’était dégradé sans que je le voie et que j’avais loupé mon bus, perdu dans mes pensées. Je soupirai. Je n’avais plus qu’à y aller à pieds. Ce n’était pas si loin, juste une quarantaine de minutes. Quand j’arrivai finalement, j’étais gelé tant j’étais trempé. J’entrai dans la maison, refermai dans mon dos et me laissai glisser le long de la porte. Je me sentais mal. Je toussai vivement plusieurs fois et grimaçai. Ce n’était pas bon signe.
Quand je me mettais à tousser, ce n’était jamais bon signe. Je tremblais, transi de froid. Je devais sans doute le mériter. J’avais blessé et trahi une personne qui comptait énormément à mes yeux. C’était un juste retour des choses que de me sentir si mal. Je n’eus pas le courage d’enlever mes chaussures. Je n’eus pas le courage de me lever en entendant ma grand-mère venir à ma rencontre. Je n’eus pas le courage de lui sourire. Levant les mains, je lui appris que Baekhyun ne viendrait plus à cause de moi. Elle s’approcha doucement de moi et caressa tendrement mes cheveux trempés.
« Ça va aller, mon chéri, tout va s’arranger. »
Je fermai les yeux pour savourer sa voix réconfortante. Je n’étais pas certain que les choses pourraient aller mieux. Ce qui était sûr, cependant, c’est qu’elles ne pourraient pas être pires. Je toussai à nouveau vivement et sentis une bouffée de chaleur envelopper mon visage. Je posai ma tête contre l’épaule de ma grand-mère et lâchai prise. Je voulais juste rester inconscient pour tout oublier. Je voulais juste pouvoir revenir en arrière et dire la vérité à Baekhyun avant qu’il ne l’apprenne par d’autres. Je me sentais si mal de l’avoir blessé. Ma gorge me brûlait de tous les mots que je n’avais jamais pu lui dire.
Quand je repris connaissance, j’étais tellement épuisé qu’il me fut impossible d’ouvrir les yeux. Je ne savais pas combien de temps j’étais resté inconscient. J’espérais que ça ne faisait pas une éternité, je ne voulais pas inquiéter ma grand-mère. Je sentais des présences à mon chevet, l’une était ma grand-mère – je l’aurais reconnu entre mille – et l’autre me paraissait familière tout en étant floue. J’avais l’impression de grelotter et pourtant je crevais de chaud, ça ne devait pas m’aider. Je tentai de me concentrer et de trouver la force de soulever les paupières. Finalement, j’abandonnai quand une des personnes prit la parole. Je n’eus aucun mal à reconnaître la voix. Pourtant, elle semblait soudainement fragile, inquiète et triste. Tellement loin de cette bonne humeur qui me plaisait tant.
« Pourquoi il me l’a caché ? demanda Baekhyun. Je pensais qu’il me faisait confiance aussi mais je me sens trahi. J’ai l’impression qu’il a joué avec moi en me cachant quelque chose de si important. »
Il y eut un petit silence, troublé uniquement par le bruissement d’un tissu. J’aurais réellement aimé avoir la force d’ouvrir les yeux. Seulement, la fièvre semblait les avoir collés. Je voulais savoir ce que ma grand-mère allait lui dire mais n’étais pas certain d’avoir la force d’écouter jusqu’au bout. Je n’eus même pas le courage de bouger, restant immobile sous les couvertures.
« Tu ne dois pas lui en vouloir. Je sais que c’est facile à dire mais ce serait dommage de se fâcher pour ça. C’est une situation compliquée, je le conçois. Chanyeol a du mal à avouer cette partie de sa vie et les autres se sentent mis à l’écart. Seulement, il faut essayer de le comprendre. Quand il avait cinq ou six ans, je ne sais plus très bien, il est tombé malade. Il toussait, toussait, toussait à nous faire devenir fou. Sans entrer dans les détails, ça a touché ses cordes vocales. Pour un petit garçon, perdre la voix, c’est difficile. Ses amis l’ont laissé de côté et, après ça, il a souvent été seul ou rejeté parce qu’il est devenu différent. Il a appris à parler différemment. Avec son corps, avec ses mains, avec son cœur. Il écrit beaucoup parce que c’est plus simple pour les autres et qu’il ne veut pas les mettre plus mal à l’aise qu’ils ne le sont déjà. Il n’en parle pas mais je sais tout ça. Je sais à quel point ça a été dur pour lui. Les enfants sont méchants entre eux et rien ne s’arrange avec le temps. Chanyeol ne s’est jamais plaint. Il a toujours tout encaissé sans broncher. Même quand ses parents ont commencé à se désintéresser de lui, il n’a rien dit. Et tu es arrivé. Il était heureux avant que tu ne débarques, je ne peux pas le nier. Mais ton arrivée a changé quelque chose en lui. Je ne l’avais plus vu aussi pétillant depuis des années. Je sentais bien son inquiétude, aussi, mais je ne savais pas d’où elle venait. Je pensais qu’il te l’avait dit. J’aurais dû me douter que ce n’était pas le cas. »
Il y eut un petit soupir dans la pièce et, si je n’avais pas été si fatigué, j’aurais sans doute sangloté. Entendre ma grand-mère parlait ainsi de moi me fit comprendre à quel point elle avait souffert aussi de ma situation. J’avais voulu être fort en gardant tout pour moi. Je n’avais pas pensé que j’affaiblissais les autres en ne leur parlant pas honnêtement. J’aurais aimé leur crier mes excuses.
« Ne lui en veux pas. Je pense qu’il a eu peur de t’avouer son secret, comme il l’appelle. Je le connais bien. Et tu le connais aussi. Jamais il ne t’aurait blessé volontairement. Jamais il n’aurait joué avec toi. Chanyeol est un garçon bien, il a juste peur du monde. »
Une larme roula le long de ma tempe et je cessai finalement de lutter, replongeant dans les brumes d’un sommeil sans rêve. Il fallait que je guérisse avant d’arranger les choses.
Je restai alité trois jours, partagé entre moments d’accalmie – pendant lesquels je pouvais discuter avec ma grand-mère – et moments tumultueux – avec toux douloureuses et poussées de fièvre intenses. Je ne me pensais pas si fragile. Il fallait croire que les émotions et la pluie ne faisaient pas bon ménage. Je n’étais pas rentré chez moi. Ma grand-mère n’ayant pas réussi à joindre mes parents, elle avait exigé que je reste chez elle pour prendre soin de moi. Quand je pus de nouveau me lever sans vaciller, je décidai de rentrer chez moi. C’était un samedi et j’avais besoin de réfléchir, de prendre une douche et de me changer. De plus, je ne voulais pas embêter davantage ma grand-mère. Elle hésita longuement avant d’abdiquer sous mon regard suppliant. Je voulais retrouver ma chambre et ma pastèque. Ma grand-mère insista pour me déposer quand même chez moi en voiture, pour plus de sécurité. Je ne croisai pas mon ami dans la rue en sortant de chez elle. Mon cœur se serra. Je me sentis misérable.
J’avais, jusque là, tenté d’ignorer la dernière entrevue que j’avais eue avec Baekhyun. Elle revint subitement se loger dans mon cœur, s’y agrippant avec force. C’était douloureux et oppressant. Je n’avais eu aucune nouvelle de mon ami. Même si je le comprenais, ça n’enlevait pas la tristesse. Une fois dans ma chambre, j’attrapai Fred et me roulai en boule dans mon lit. Je ne savais pas quoi faire. Envoyer un SMS me paraissait déplacé. Appeler était ridicule quand on ne pouvait pas parler. Que me restait-il comme option ? Soupirant, je donnai un coup de poing sur mon matelas et me relevai. L’odeur de fièvre et de transpiration me collait au corps et aux vêtements. Il fallait que je me lave et me change pour réfléchir plus posément. J’attrapai des habits dans ma garde-robe et filai dans la salle de bain.
Prendre une douche apaisa un peu mon cœur et mon esprit. Et je savais exactement ce que je pouvais faire. Ce que j’avais toujours fait : écrire. C’était ce que je maîtrisais le mieux, finalement. Ce qui me permettrait d’être honnête et de me livrer entièrement. Baekhyun avait le droit et le devoir de savoir ce qui m’avait poussé à agir ainsi. Alors je m’installai à mon bureau, pris une feuille et un stylo et écrivis.
« Cher Baekhyun,
Ceci n’est pas une lettre de suppliques pour te faire revenir à mes côtés. Je n’ai pas le droit de te supplier de me revenir alors que je t’ai trahi. Ceci est juste une lettre d’excuses, d’explications aussi, pour que tu puisses comprendre. La compréhension est importante pour avancer. C’est la base de tout. Quoi qu’il en soit, je voudrais que tu saches que je suis sincèrement désolé. J’ai mal agi. Peu importe ce que je dirai, je sais que je n’aurais pas dû te cacher ça si longtemps. Je pense que je me suis accroché à l’illusion d’être en train de jouer. Je me suis accroché à ce jeu mensonger du “je me tais pour gagner”. Seulement, ça ne change pas la réalité. Je ne peux réellement pas parler. Ni parler, ni rire, ni chanter. Aucun son ne peut franchir mes lèvres. Du moins, aucun son qui nécessite l’utilisation des cordes vocales...
Tu sais, un rêve, c’est un souhait que ton cœur fait. Et j’ai toujours rêvé de pouvoir rire et discuter librement avec quelqu’un qui ne me verrait pas comme une personne bizarre et à part. Je voulais être normal à tes yeux et avoir pu l’être grâce à notre deal m’a rendu tellement heureux que j’ai perdu le courage de te dire la vérité. Ce secret, mon secret, est difficile à porter. Je suis désolé de ne jamais t’avoir avoué être muet. Je suis désolé de t’avoir blessé. Je voulais t’en parler moi-même et je l’aurais fait si quelqu’un n’avait pas craché le morceau avant. J’ai l’impression qu’on m’a brûlé à vif en allant te voir pour te le dire, en se mêlant de notre histoire. Je suppose que je ne peux pas me plaindre, c’était à moi de réagir avant. Désolé de t’avoir caché quelque chose de si important.
Enfin, comme tu as pu le constater, je continue de dire “mon secret” mais il n’en est pas vraiment un, tout le monde semble le connaître. Ça les fait rire, les met mal à l’aise, les rend parfois injurieux et blessants. Pourtant, au fond, ça ne change rien pour eux. Que je ne puisse pas parler, en quoi ça les regarde ? En quoi ça les gêne ? Ils n’ont pas à se moquer, à se mêler de ma vie. Je les déteste pour ça, tu sais. Je les déteste de me rendre minable alors que je n’ai pas choisi. Mais, toi, tu es différent. Tu m’aurais accepté comme j’étais. Tu m’aurais accepté avec ou sans ce défaut. Seulement, aveuglé par mes propres souhaits, j’ai oublié de prendre en compte les tiens. Et je suis désolé pour tout ça. Ça ne changera rien à mes agissements mais j’espère que mes excuses pourront au moins apaiser la douleur que je t’ai causée.
Ça ne fait que quatre jours et tu me manques déjà.
J’espère que tu pourras me pardonner, même si je ne le mérite pas.
L’abruti sans voix, Chanyeol. »
Une fois le dernier point posé, je pliai soigneusement la feuille, la glissai dans mon sac de cours et me couchai. Il était encore tôt, je n’avais ni mangé ni pris mes cachets, mais j’avais juste envie de dormir. Non, j’avais juste envie de voir Baekhyun, avec ses yeux en forme de lune, sa bonne humeur et son sourire rectangulaire. Mon ami me manquait et j’avais la sensation que ce manque avalait toute possible motivation. Je me sentais de nouveau seul et abandonné. Me replier sur moi-même et pleurer sur mon sort était ridicule, je le savais. Seulement, avais-je le droit de débarquer chez lui pour lui donner ma lettre ? Avais-je la force de battre la fin de ma crève pour sortir ? Il était tellement plus simple d’attendre simplement que lundi arrive.
Je repoussai les draps de mon lit pour me lever avec vivacité. Je retombai immédiatement assis sur mon matelas, l’esprit plongé au cœur des étoiles. Je me frottai le visage et me laissai le temps de me reprendre. Se précipiter n’était pas une chose à faire dans mon état. Quand mes yeux cessèrent de voir des points brillants autour de moi, je me relevai plus calmement. Je repris ma lettre, enfilai une veste et attrapai Fred avant de rejoindre l’entrée. Je me couvris bien pour ne pas faire de rechute et sortis finalement de chez moi.
Durant tout le trajet, la voix de ma grand-mère me rouspéta mentalement. Ma conscience avait souvent cette voix-là. Parfois, elle avait la voix que j’avais imaginée pour Fred. C’était ridicule et je me demandais de temps à autre si je n’étais pas simplement fou. Quoi qu’il en soit, la voix de ma grand-mère me grondait et me disait que j’étais inconscient de sortir dans mon état. Je le savais déjà et, pour la première fois, n’écoutai pas ses conseils. Je voulais voir Baekhyun pour m’excuser et lui remettre ma lettre. Il fallait que je le fasse avant que tout devienne irréversible.
En descendant du bus, le vent m’attaqua de plein fouet. Il était vraiment froid et je serrai mes bras autour de Fred, collé à mon torse. J’étais gelé, malgré ma grosse écharpe et mon manteau épais. Je ne mis pas longtemps à atteindre la bonne rue et mes yeux accrochèrent la façade de la maison de ma grand-mère. Elle était toujours aussi merveilleuse. Elle reflétait toujours le bonheur et les souvenirs. Pourtant, aujourd’hui, je ne venais pas pour elle. Je l’avais quittée plus tôt dans la journée, de mon propre chef. Avant ma rencontre avec Baekhyun, ça ne se serait jamais produit. Je n’arrivais pas à déterminer si c’était une bonne chose. Déglutissant difficilement, je reportai mon attention sur la maison de mon ami. Les briques étaient peintes en blanc, le perron était en pierres grises. L’ambiance qui s’en dégageait n’avait rien à voir avec celle de ma grand-mère. Je me mordis la lèvre, inspirai profondément et remontai l’allée avec appréhension.
Si le vent ne s’était pas faufilé derrière mes oreilles, me glaçant sur place, je serais sans doute resté devant la porte pendant des heures. J’avais peur de sonner et qu’on me jette dehors pour le mal que j’avais causé. J’avais peur de ne pas pouvoir m’excuser auprès de Baekhyun. Mon doigt tremblant appuya finalement sur la sonnette qui répandit son doux carillon derrière la porte. Ce fut monsieur Byun qui vint ouvrir. Je me tassai légèrement sur moi-même. Seulement, il ne me gronda pas. Au contraire. Il m’offrit un sourire si chaleureux que je me demandai subitement si je n’avais pas rêvé les derniers événements.
« Oh, bonjour Chanyeol ! Tu vas mieux ? Entre vite, il fait froid. Je vais aller chercher mon fils. »
Il s’effaça pour me laisser passer et la chaleur de la maison m’engloba avec douceur. Je me sentis à la fois mal à l’aise et bien mieux. L’odeur de nourriture me fit sourire malgré moi. Le week-end, le père de Baekhyun passait son temps aux fourneaux, n’ayant pas le temps de le faire en semaine. C’était étrange de constater que cette odeur me semblait déjà si familière. Trois mois, ce n’était pas grand-chose. En entendant les marches de l’escalier craquer, je me retournai et me rendis compte que monsieur Byun était parti chercher son fils sans que je n’y prenne garde. Je perdis instantanément mon sourire et fixai mon ami avec douleur. Son aura si pétillante avait laissé la place à quelque chose de nébuleux sitôt qu’il m’avait aperçu. Je lui fis un vague signe de la main pour le saluer.
« Rentre chez toi, Chanyeol, tu n’aurais même pas dû venir. »
Ces mots me transpercèrent avec force. Sa voix n’était pas froide. Elle ne trahissait pas de mépris ou de dégoût, juste une profonde blessure. Les conséquences de ma trahison. Il soupira et fit demi-tour, sans doute pour repartir dans sa chambre. Je fis un pas en avant, ouvris les lèvres sans pouvoir l’appeler et fis la seule chose que je pouvais faire pour le retenir. Je lui lançai Fred dessus. Il se figea brusquement et je me sentis mal de voir ma pastèque dégringoler les marches après l’avoir touché dans le dos. Baekhyun tourna la tête vers moi, sans doute surpris d’une telle attaque. Paniqué à l’idée qu’il s’en aille ou qu’il m’en veuille, je levai deux doigts et lui articulai silencieusement de me laisser deux secondes.
Je plongeai ma main dans ma poche et en ressortis ma lettre. Je la lui tendis à travers les barreaux de la rambarde, le regard implorant. Je ne voulais pas qu’il me pardonne, je voulais juste qu’il lise ma lettre, qu’il me laisse m’expliquer. Ses épaules s’affaissèrent et il attrapa le papier. Mon cœur battait la chamade et le sang tambourinait à mes tempes. Je ne me sentais pas au mieux de ma forme. Baekhyun dut le remarquer puisqu’il me regarda avec inquiétude avant de pousser un long soupir.
« Monte, tu as besoin de t’allonger un peu. Et ramasse ce pauvre Fred en passant. »
Je hochai la tête, honteux de me montrer ainsi. Nous nous retrouvâmes dans sa chambre peu de temps après. Je restai figé au bord de la pièce, n’osant pas agir comme j’en avais l’habitude. Il soupira à nouveau et secoua la tête de désespoir. Il s’approcha de moi et défit mon écharpe et mon manteau.
« Allonge-toi, tu vas finir par t’évanouir. Quelle idée tu as eu de venir ici alors que tu es malade... »
Je lui lançai un regard penaud et lui désignai la lettre d’un doigt avant de le pointer lui. Il attrapa ma main et me força à m’installer sur son lit. Je n’arrivais pas à déterminer s’il agissait parce qu’il avait peur de me voir faire un malaise ou parce que je lui faisais pitié.
« Je ne me serais pas envolé pendant le week-end, tu aurais pu me la donner lundi. Tu as besoin de te reposer. Je ne comprends pas que ta grand-mère ait été d’accord de te laisser sortir. »
Je me mordis la lèvre inférieure avec embarras. Il ouvrit de grands yeux.
« Ne me dis pas qu’elle n’est pas au courant ! s’écria-t-il. Chanyeol, es-tu inconscient ?! »
Me tortillant un peu, j’attrapai mon téléphone dans ma poche pour lui répondre. Je n’aimais pas quand il me grondait ainsi, je me sentais comme un gamin fautif. Ce que j’étais mais je ne voulais pas qu’il me le rappelle.
« Elle m’a déposé chez moi plus tôt dans la journée, j’ai écrit ma lettre et je suis revenu. »
« C’est ridicule, pourquoi n’as-tu pas attendu lundi ? Tu veux mourir ou quoi ? »
« J’avais peur de te perdre si je ne me bougeais pas un peu. Lis ma lettre. »
« Tu es un abruti, grommela-t-il. »
Je hochai la tête et lui désignai la lettre à nouveau. Il poussa un énième soupir et déplia le papier.
« C’est bon, je lis, ronchonna-t-il. »
Au fil de la lecture, le visage de Baekhyun sembla se tendre tantôt de chagrin tantôt de colère. Finalement, il releva la tête vers moi et fronça les sourcils.
« Tu es le roi des abrutis, Park Chanyeol ! s’exclama-t-il. »
Il me donna une tape sur la jambe et une autre sur le bras. Je ne pensai même pas à me défendre, surpris d’une telle réaction de sa part.
« Tu penses réellement que tu ne mérites pas que je te pardonne ? Pourquoi ne mériterais-tu pas mon pardon ? Parce que tu n’as pas de voix ? Ah, qui est l’abruti qui a déclaré qu’une personne muette ne méritait pas d’être pardonnée ? Tu es tellement, tellement bête que c’est ta bêtise qui ne mérite aucun pardon ! »
Il me tapa à nouveau. Je me laissai faire, les yeux grand ouverts. Il semblait réellement en colère contre moi.
« Bien sûr que tu es une personne à part, Park Chanyeol ! Peu importe que tu ne puisses pas rire, parler ou chanter, tu serais une personne unique même en en étant capable ! Tu es un ami précieux et évidemment que tu as intérêt à rester à mes côtés. Ah, réellement, tu pensais pouvoir te débarrasser de moi si facilement ? Je suis plus coriace que ça, ce n’est pas ton petit secret qui n’en est pas un qui va me faire fuir. Et que personne ne pense encore à se moquer de toi, je vais leur montrer ce que le silence est capable de faire. »
Il se releva et posa la lettre sur son bureau avant de revenir s’installer près de moi.
« Et qu’on soit clair immédiatement, ne t’avise plus jamais de lancer ce pauvre Fred sur moi ou n’importe qui d’autre. »
Je le fixai un moment, abasourdi. J’avais du mal à concevoir qu’il puisse ne pas m’en vouloir. Je hochai la tête, sans réaliser entièrement la situation. Je me sentais tellement minable vis-à-vis de lui, comment pouvait-il simplement me pardonner ? J’étais heureux qu’il le fasse, évidemment, mais j’avais peur qu’il ne réalise pas l’ampleur de la situation. Baekhyun dut s’en rendre compte puisqu’il roula des yeux avant de m’ébouriffer gentiment les cheveux.
« Arrête de réfléchir, tes oreilles vont fumer. Sois juste reconnaissant d’avoir un ami comme moi. Je sais bien que les autres se moquent de toi et qu’ils se moqueront de moi également, et alors ? Tu penses que je ne peux pas me défendre ? Attends de voir ce qu’ils vont prendre s’ils osent venir m’enquiquiner. »
Je hochai la tête à nouveau et lui offris un petit sourire de remerciement. Je comprenais ce qu’il essayait de me dire. Nous étions amis et il me soutiendrait. J’attrapai de nouveau mon portable.
« S’ils osent s’en prendre à toi, je les mordrai. »
Il éclata de rire en me lisant et secoua la tête.
« T’es fou, tu veux t’empoisonner ? »
Il continua de rire tout en me couvrant d’une couverture en voyant que je frissonnais. Il veilla à ce que je sois bien installé et me servit même un verre d’eau au cas où. Puis il s’installa finalement à mes côtés, par-dessus les draps. Il fixa un instant le plafond sans rien dire avant de souffler longuement.
« Je me sens triste pour toi, avoua-t-il. Et je suis triste pour moi aussi. Durant trois mois, j’ai imaginé quelle pourrait être ta voix et je me rends compte que je ne le saurai jamais. Et je me mets à ta place et j’ai vraiment mal au cœur de me dire que tu ne pourras jamais parler. C’est comme si tu étais un coffre fort dont on a perdu la clef et qu’on ne peut pas forcer. Il n’y a aucune chance que tu reparles un jour ? »
Il tourna la tête vers moi, ses yeux emplis de tristesse. C’était une vision vraiment déchirante. Je ne pouvais pas le laisser se morfondre ainsi. Je lui offris un large sourire pour le réconforter et tapai rapidement ma réponse.
« Mon médecin pense que ma voix pourrait revenir un jour mais tout ça est vraiment trop bizarre pour que j’y crois ou y comprenne quoi que ce soit. Est-ce si important ? Personnellement, ça ne me rend pas triste. Parfois, j’imagine la voix que j’aimerais avoir et ça me suffit. Je me dis que je dois avoir une belle voix sexy. Mais si ça se trouve, j’ai une voix aiguë absolument désagréable. Finalement, tu peux me donner la voix que tu veux, comme pour une peluche. Je suis un peu comme Fred. »
Baekhyun pouffa à ma réponse.
« Je suis content que tu sois venu, même si tu es un abruti inconscient. Tu me manquais aussi. Quand ta grand-mère est venu sonner pour avoir de l’aide pour te porter, j’ai flippé. Et quand je t’ai vu allongé sur le sol, pâle comme un mort, je me suis dit que j’avais eu tort de crier contre toi. Le pire, ça a été quand elle m’a expliqué. Je me suis senti vraiment mal. J’ai été bête de penser que tu pouvais t’être moqué de toi en commençant notre deal. On est pareil, dans le fond. Tu savais que je t’abandonnerais pas en apprenant la vérité et je savais que tu ne jouerais pas avec moi, pourtant on s’est embobiné tout seul. »
Il se tourna vers moi et me tendit son petit doigt.
« A partir de maintenant, nous serons des amis honnêtes, loyaux et nous ne nous cacherons plus rien. Deal ? »
J’attrapai son petit doigt avec un grand sourire en acquiesçant. Sa main semblait toute petite à côté de la mienne. Ses cheveux ébouriffés voilaient un peu son regard brillant de joie. Son aura pétillait de bonne humeur à nouveau. Il était le même que ce jour où son chien était venu faire ma connaissance, avec son grand sourire et son visage fin. Ça me semblait faire une éternité. Ça me rendait heureux, plus que jamais. Un bonheur dense et chaud, intense.
« Deal. »
FIN
Petite note de fin : Désolée pour le double post, le texte était trop long pour tenir en une seule fois... J'espère en tout cas que vous avez apprécié la lecture ! N'hésitez pas à me laisser vos avis, vos critiques et tout ce que vous voulez !